Tiana Nguyen-Raharison
Exposition "L'Autre" : SANS TITRE
Sans titre, 2021
Acrylique sur papier
70 x 100 cm
La feuille est blanche. Tout est possible. Tout semble possible. Je ne sais pas vraiment comment commencer. Où aller.
Voici un premier coup de pinceau.
J’ai tracé cette première ligne. Déjà l’étau se resserre. Voici une tâche. Je griffonne. Je gribouille.
L’autre résiste.
Elle a sa voie. Je perds la mienne. Je résiste. Je tâtonne.
Je navigue entre déséquilibre et certitude.
Elle prend le dessus. Je ne suis pas seule. Qui suis-je déjà ? Je cherche là, dans le lieu enfoui. Je crois.
Je fais silence.
Elle s’échappe.
Je la rattrape. Je ne dois pas la laisser partir. Elle lâche prise. Je me laisse porter.
Elle a ouvert la voie. Je suis libre. Elle est libre.
Cette oeuvre fait partie d’une nouvelle série de peintures sur papier en noir et blanc. En démarrant cette série, je me suis engagée volontairement vers une manière de peindre différente de ma pratique habituelle. Jusque là, je prenais le temps de faire des croquis et des recherches préparatoires, et de poser ensuite sur mes toiles des couleurs minutieusement élaborées. Il me semblait que j’avais trouvé une certaine satisfaction dans cette façon de travailler qui était très réfléchie et contrôlée.
Mais il me manquait quelque chose, sans parvenir à déterminer exactement ce dont il s’agissait. J’avais l’intuition qu’il me fallait sortir de ma zone de confort, expérimenter une autre manière de peindre. Pour cela, je devais entrer dans un rapport dialectique avec ma peinture. Alors, pour cette nouvelle série, j’ai imaginé vivre mes séances d’atelier comme des temps de conversation : pour m’offrir plus de spontanéité, je me suis libérée de la contrainte de la couleur en choisissant le noir et le blanc.
Pour être au plus près de la vérité, je me suis fixé comme seules règles : partir de rien, puis me laisser porter par l’oeuvre en train de se faire. Je n’imaginais pas alors que je mènerai, plus qu’une conversation, une lutte salutaire. Il y a une résistance dans la peinture.
Parfois, je ne me sens pas seule à décider de ce qui se trace sur le papier. Il me semble qu’il y a l’autre : est-ce la peinture elle-même ? Est-ce une autre en moi ? Est-ce moi contre l’autre ? Tout cela est flou, mais palpable. Il arrive des moments où je ne me reconnais plus, où je ne sais plus qui a fait quoi. Il m’est plus difficile de revenir en arrière, de tricher, de dissimuler. C’est un combat, une vérité est là sous mes yeux et je dois faire avec elle, l’accepter. Dans ces moments là, j’expérimente la limite de mon imagination et de mon esprit, et je comprends qu’il m’est nécessaire de lâcher prise.
C’est à cette seule condition que la peinture peut se faire librement et que des chemins jusque-là invisibles deviennent visibles pour se laisser emprunter. Alors, ma main s'affranchit et je trouve…